Le Conseil constitutionnel a été saisi le 20 février 2014 par la Cour de cassation (chambre sociale, arrêt n° 628 du 20 février 2014), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la Province Sud de Nouvelle-Calédonie, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit « des dispositions combinées de l'article 8- 13° de la loi référendaire n° 88-1028 du 9 novembre 1988 portant dispositions statutaires et préparatoires à l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998 et de l'article 1er de l'ordonnance modifiée n° 85-1181 du 13 novembre 1985 relative aux principes directeurs du droit du travail et à l'organisation et au fonctionnement de l'inspection du travail et du tribunal du travail en Nouvelle-Calédonie, dans leur rédaction applicable à la date d'adoption de la délibération n° 10/99/APS du 15 juin 1999 de l'assemblée de la province Sud ».
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'accord sur la Nouvelle-Calédonie, signé à Nouméa le 5 mai 1998 ;
Vu la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ;
Vu l'ordonnance n° 85-1181 du 13 novembre 1985 relative aux principes directeurs du droit du travail et à l'organisation et au fonctionnement de l'inspection du travail et du tribunal du travail en Nouvelle-Calédonie ;
Vu la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 portant dispositions statutaires et préparatoires à l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998 ;
Vu la loi n° 96-609 du 5 juillet 1996 portant dispositions diverses relatives à l'outre-mer ;
Vu la loi du pays n° 2006-3 du 8 février 2006 portant modification de l'ordonnance modifiée n° 85-1181 du 13 novembre 1985 relative aux principes directeurs du droit du travail et à l'organisation et au fonctionnement de l'inspection du travail en Nouvelle-Calédonie ;
Vu les décisions du Tribunal des conflits nos 02672 du 13 janvier 1992, 02998 du 19 février 1996, 03146 du 15 mars 1999, C3423 du 15 novembre 2004, C3654 et C3655 du 17 décembre 2007, C3775 du 13 décembre 2010 et C3825 du 5 mars 2012 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la collectivité requérante par la SCP Barthélémy, Matuchansky, Vexliard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 14 et 31 mars 2014 ;
Vu les observations produites pour Mme Anne de B., partie en défense, par Me Dominique Foussard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 14 et 31 mars 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 14 mars 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Loïc Poupot, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la requérante, Me Foussard, pour la partie en défense et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 8 avril 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que l'article 8 de la loi du 9 novembre 1988 susvisée est relatif aux matières qui relèvent de la compétence de l'État en Nouvelle-Calédonie ; que sont au nombre de ces matières, en vertu du 13° de cet article : « Les principes directeurs du droit du travail et de la formation professionnelle » ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 13 novembre 1985 susvisée dans sa rédaction issue de la loi du 5 juillet 1996 susvisée : « La présente ordonnance est applicable dans le territoire de Nouvelle-Calédonie sous réserve, le cas échéant, des dispositions des traités, conventions ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés et publiés.
« Les dispositions de la présente ordonnance ne portent pas atteinte aux stipulations des contrats individuels de travail plus favorables pour les salariés.
« Elle s'applique à tous les salariés du territoire.
« Elle s'applique à toute personne physique ou morale qui emploie lesdits salariés.
« Sauf dispositions contraires de la présente ordonnance, elle n'est pas applicable aux personnes relevant d'un statut de fonction publique ou d'un statut de droit public.
« Est considérée comme salarié quels que soient son sexe et sa nationalité toute personne physique qui s'est engagée à mettre son activité professionnelle, moyennant rémunération, sous la direction et l'autorité d'une autre personne physique ou morale publique ou privée. Pour la détermination de la qualité de salarié, il ne sera tenu compte ni du statut juridique de l'employé, ni de celui de l'employeur, ni du fait que celui-ci soit titulaire ou non d'une patente.
« Est considéré comme employeur toute personne morale ou physique, publique ou privée, qui emploie au moins un salarié dans les conditions définies à l'alinéa précédent » ;
3. Considérant que, selon la collectivité requérante, les dispositions contestées, telles qu'interprétées par la jurisprudence constante du Tribunal des conflits, sont contraires au principe de la libre administration des collectivités territoriales dans la mesure où elles soumettent au droit commun du droit du travail les collaborateurs de cabinet recrutés par les autorités territoriales de Nouvelle-Calédonie et font ainsi obstacle à la possibilité pour ces autorités de mettre librement fin aux fonctions de ces collaborateurs ; qu'en privant les autorités territoriales de Nouvelle-Calédonie de la possibilité de recourir librement à des collaborateurs de cabinet, alors que cette possibilité a été reconnue à toutes les autres collectivités territoriales françaises, ces dispositions seraient également contraires au principe d'égalité devant la loi ;
4. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le 13° de l'article 8 de la loi du 9 novembre 1988 et sur le cinquième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance du 13 novembre 1985 ;
- SUR LES DISPOSITIONS SOUMISES À L'EXAMEN DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL :
. En ce qui concerne le 13° de l'article 8 de la loi du 9 novembre 1988 susvisée adoptée par référendum :
5. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ;
6. Considérant que la compétence du Conseil constitutionnel est strictement délimitée par la Constitution ; qu'elle n'est susceptible d'être précisée et complétée par voie de loi organique que dans le respect des principes posés par le texte constitutionnel ; que le Conseil constitutionnel ne saurait être appelé à se prononcer dans d'autres cas que ceux qui sont expressément prévus par la Constitution ou la loi organique ;
7. Considérant que l'article 61-1 de la Constitution donne au Conseil constitutionnel mission d'apprécier la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions législatives, sans préciser si cette compétence s'étend à l'ensemble des textes de caractère législatif ; que toutefois au regard de l'équilibre des pouvoirs établi par la Constitution, les dispositions législatives qu'elle a entendu viser dans son article 61-1 ne sont pas celles qui, adoptées par le Peuple français à la suite d'un référendum contrôlé par le Conseil constitutionnel au titre de l'article 60, constituent l'expression directe de la souveraineté nationale ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'aucune disposition de la Constitution ou d'une loi organique prise sur son fondement ne donne compétence au Conseil constitutionnel pour se prononcer sur une question prioritaire de constitutionnalité aux fins d'apprécier la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit d'une disposition législative adoptée par le Peuple français par la voie du référendum ; que, par suite, il n'y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, de connaître des dispositions de la loi adoptée par le Peuple français par voie de référendum le 6 novembre 1988 ;
. En ce qui concerne le cinquième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance du 13 novembre 1985 susvisée :
9. Considérant qu'en vertu de l'article 61-1 de la Constitution, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi dans les conditions prévues par cet article que de dispositions de nature législative ;
10. Considérant que l'article 1er de l'ordonnance du 13 novembre 1985 a été modifié par le paragraphe I de l'article 24 de la loi du 5 juillet 1996 susvisée ; qu'antérieurement à la modification de l'article 38 de la Constitution par l'article 14 de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République, la loi du 5 juillet 1996, sans avoir pour objet direct la ratification de l'ensemble des dispositions de l'article 1er de l'ordonnance du 13 novembre 1985, impliquait nécessairement une telle ratification ; que, par suite, les dispositions du cinquième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance du 13 novembre 1985 revêtent le caractère de dispositions législatives au sens de l'article 61-1 de la Constitution ; qu'il y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, d'en connaître ;
- SUR LA CONSTITUTIONNALITÉ DES DISPOSITIONS CONTESTÉES :
11. Considérant, en premier lieu, qu'en vertu du troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution, « dans les conditions prévues par la loi », les collectivités territoriales « s'administrent librement par des conseils élus » ; que les institutions de la Nouvelle-Calédonie sont régies par les dispositions du titre XIII de la Constitution ; qu'il s'ensuit que l'article 72 ne leur est pas applicable de plein droit ;
12. Considérant qu'en vertu de l'article 76 de la Constitution, « les populations de la Nouvelle-Calédonie sont appelées à se prononcer avant le 31 décembre 1998 sur les dispositions de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 et publié le 27 mai 1998 au Journal officiel de la République française » ; qu'en vertu de son article 77, « après approbation de l'accord lors de la consultation prévue à l'article 76, la loi organique, prise après avis de l'assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie, détermine, pour assurer l'évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies par cet accord et selon les modalités nécessaires à sa mise en oeuvre. . .- les règles d'organisation et de fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie. . . » ; qu'aux termes de l'article 3 de la loi organique du 19 mars 1999 susvisée prise en application de l'article 77 de la Constitution : « Les provinces et les communes de la Nouvelle-Calédonie sont des collectivités territoriales de la République. Elles s'administrent librement par des assemblées élues au suffrage universel direct, dans les conditions prévues au titre V en ce qui concerne les provinces » ; que par ces dispositions, le législateur organique a, ainsi qu'il lui était loisible de le faire, étendu aux institutions de la Nouvelle-Calédonie des dispositions du titre XII applicables à l'ensemble des autres collectivités territoriales de la République, sans que cette extension soit contraire aux orientations de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 auxquelles le titre XIII confère valeur constitutionnelle ;
13. Considérant que, selon les dispositions contestées, telles qu'interprétées par la jurisprudence constante du Tribunal des conflits, les agents contractuels recrutés par une personne publique en Nouvelle-Calédonie ne sont pas soumis à un statut de droit public ; que ces dispositions n'ont pas pour effet de priver les autorités territoriales de Nouvelle-Calédonie de la faculté de recruter librement des collaborateurs de cabinet ; qu'elles n'ont pas davantage pour effet de priver ces autorités de la faculté de mettre fin aux fonctions de ces collaborateurs dans les conditions prévues par la loi ; que, par suite, elles ne méconnaissent pas le principe de la libre administration des collectivités territoriales de la Nouvelle-Calédonie ;
14. Considérant, en second lieu, qu'en prévoyant des règles particulières applicables aux agents contractuels recrutés par une personne publique en Nouvelle-Calédonie, qui diffèrent des règles de droit commun, le législateur n'a pas méconnu le principe d'égalité devant la loi ;
15. Considérant que les dispositions du cinquième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance du 13 novembre 1985 susvisée, qui ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Il n'y a pas lieu de statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité portant sur le 13° de l'article 8 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 portant dispositions statutaires et préparatoires à l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie.
Article 2.- Le cinquième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance n° 85-1181 du 13 novembre 1985 relative aux principes directeurs du droit du travail et à l'organisation et au fonctionnement de l'inspection du travail et du tribunal du travail en Nouvelle-Calédonie, dans sa rédaction postérieure à la loi n° 96-609 du 5 juillet 1996 portant dispositions diverses relatives à l'outre-mer, est conforme à la Constitution.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 24 avril 2014, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC et Mme Nicole MAESTRACCI.
Rendu public le 25 avril 2014.